Il a fallu attendre plus de trente ans pour que les rsgm (Die rationalen und Soziologischen Grundlagen der Musik) commencent une carrière internationale. Le rythme de circulation du texte s’est ensuite accéléré pour dépasser, au tournant du xxie siècle, un seuil significatif, celui de relectures constructives. Mais la Sociologie de la musique de Max Weber n’est pas un texte isolé, Les « Psychologische und Ethnologische Studien über Musik », de Georg Simmel (1882) ou « La mémoire collective chez les musiciens » de Maurice Halwbachs développent des argumentations en définitive très articulées entre elles, qui se complètent et s’enrichissent mutuellement.
Ces trois textes fondateurs – mais il en est d’autres appartenant également aux débuts de la sociologie de la musique, ceux d’Alfred Schütz ou de Charles Lalo – développent plusieurs consonances théoriques remarquables : primat accordé au monde des musiciens et aux valeurs intramusicales, accent placé sur l’histoire des valeurs professionnelles et des processus de rationalisation, exploration des dynamiques d’institutionnalisation et des conflits de normes entre mondes « intra » et « extra-musicaux ». Ces consonances s’accompagnent, on pouvait s’en douter, de différences parfois significatives dans la façon de cadrer la description sociologique. C’est la raison pour laquelle je ne commenterai dans ces pages que brièvement un article de Schütz qui se situe le plus à la marge du périmètre défini par les sociologies de Weber, Simmel et Halbwachs. Enfin, les développements consacrés à « La mémoire collective chez les musiciens » de Halbwachs seront également assez brefs, bien que l’apport de Halbwachs soit complémentaire de la théorie relationnelle des pratiques musiciennes déployées par Weber et Simmel. En effet « La mémoire collective chez les musiciens » pose moins frontalement que cette dernière la question fondamentale du rapport aux techniques et des relations entre le monde des musiciens et diverses professions périmusicales, comme les facteurs d’instruments, les organisateurs de concert, les critiques, etc. En conséquence, je me contenterai de souligner les fortes convergences qui existent entre ce texte et les sociologies de la musique de Max Weber et Georg Simmel. En définitive, j’accorderai dans ces pages une place centrale aux premières sociologies de la musique allemande
Alors que les sociologies de la culture du xxe siècle peinent à renouveler leur pouvoir explicatif et à lever de nouveaux terrains empiriques, les fondations de la sociologie de la musique semblent avoir été conçues pour résister à l’épreuve du temps. Il faut se demander à quoi attribuer une telle plasticité. Deux raisons principales peuvent être avancées.
La première est la spécialisation progressive des sociologies de la culture du xxe siècle. Devenues plus étroites que leurs devancières, elles se refusent d’affronter la question des productions symboliques à partir desquels s’articulent les pratiques musicales, picturales, littéraires, etc
La seconde tient à la capacité des premières sociologies de la musique à envisager dans un même mouvement une théorie de la pratique (approche praxéologique
– qui est alors pensée comme l’ancrage principal du raisonnement et de la description sociologiques – qui n’exclut pas pour autant la prise en considération des dimensions ontologiques des techniques ou des symbolismes musicaux – afin de rendre compte des « légalités internes » du fait musical. En savoir +