Le chant grégorien : quelles permanences ? *

Le nom de « chant grégorien » suggère spontanément l’idée d’un chant stylistiquement défini, immuable dans sa traversée du temps, identique dans la forme et dans la manière de le chanter sur toute l’étendue de l’Eglise, signe sonore d’unité autour du pasteur romain comme la référence au pape saint Grégoire le laisse entendre, un chant qui aurait ignoré les cultures rencontrées et n’en aurait été en rien influencé. Au contraire, comme toute autre musique, ce chant a évolué en adoptant les manières locales de chanter, en se laissant infléchir mélodiquement selon les lieux ou les modes régionales d’accentuation. Le chant cantabile que nous associons à ce répertoire est celui de l’époque des premiers restaurateurs solesmiens, le chant élégant et bien français de Fauré ou Debussy. Les études historiques du chant grégorien nous ont révélé la multiplicité de ses origines et la diversité des formes mélodiques et vocales qu’il a revêtues au cours du temps. Les communautés chrétiennes se sont ainsi approprié ce chant selon leurs goûts, leurs habitudes et leurs cultures. Pourtant, quelque chose de ce chant demeure et continue de fasciner les compositeurs dans leur propre création, tant sur le plan du mélisme que sur celui de l’attitude vocale, à la suite des travaux de nombreux chercheurs et ensembles de musiciens qui tentent de retrouver des manières de chanter plus anciennes. Ce dialogue entre permanence et évolution du chant grégorien conduit à rechercher ce qui en fait la beauté unique et originale, ce qui, au delà des modes, intéresse nos contemporains et demeure source de création. Trois caractères spécifiques du chant grégorien retiendront notre attention : la modalité, le rythme, le lien parole/musique.

Extrait de l’excellent article de Emmanuel Bellanger sur CAIRN

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La modalité grégorienne. – Le pouvoir exclusif des modes majeur et mineur qui se sont imposés en Occident nous a fait oublier la richesse des diverses échelles modales anciennes. Selon la tradition platonicienne, chaque organisation modale, constituée d’intervalles différents entre les degrés suivant le mode choisi, fait naître au cœur du chanteur une attitude spirituelle précise. Cette tradition se retrouve dans notre chant. Ainsi, le quatrième mode n’est pas choisi au hasard pour être celui de l’introït Resurrexi du dimanche de Pâques. L’intervalle inhabituel d’un demi-ton entre le deuxième degré de ce mode, fa et la finale mi, donne un sentiment d’inachèvement qui ouvre sur l’infini. Comment évoquer l’impossible contemplation de la résurrection ? La fides est exprimée ex auditu par la grâce du mode musical.

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Cette richesse modale grégorienne a beaucoup intéressé les compositeurs. Debussy a, par exemple, farci son Pelléas et Mélisande de modalité grégorienne. Une analyse du même genre sur le Trio pour violon, violoncelle et piano de Ravel serait possible. Des compositeurs comme Jean-Louis Florentz ou Thierry Escaich intègrent ces échelles dans leurs recherches. En savoir +