Les travaux des psychanalystes abordent peu la question de la voix qui se trouve pourtant au cœur même du dispositif mis en place par Freud. Il suffit, pour vérifier ce relatif désintérêt, de feuilleter les dictionnaires et encyclopédies parus ces dernières années : aucune entrée n’est consacrée à la voix ou à la pulsion invocante. Rien dans L’Apport freudien [1993] édité sous la direction de Pierre Kaufmann chez Bordas ; l’on y trouve cependant une entrée consacrée au regard comme objet de la pulsion scopique. Rien dans le Dictionnaire de la psychanalyse [1995], publié chez Larousse sous la direction de Roland Chemama et de Bernard Vandermersch. Toujours rien dans le Dictionnaire de la psychanalyse [1997] édité sous la direction d’Élisabeth Roudinesco et Michel Plon chez Fayard. Rien non plus dans le Dictionnaire de la psychanalyse [2001], publié conjointement par l’Encyclopædia Universalis et Albin Michel. Même le monumental et précieux Dictionnaire international de la psychanalyse [2002], comptant plus de deux mille pages, et paru chez Calmann-Lévy sous la direction d’Alain de Mijolla, ne fait pas exception à la règle. On peut y lire une notice consacrée au regard, une autre à la délicate question des rapports entre « musique et psychanalyse », mais la voix en est absente.
Extrait de l’excellent article de Jean-Michel Vives sur CAIRN
A contrario, les sciences qui se préoccupent de l’humain : la neurologie, la philosophie, l’anthropologie, l’ethnologie voire l’histoire, ne connaissent pas ce désintérêt. Notre intention n’est pas ici de faire la recension de l’ensemble des travaux qui ont abordé la question de la voix hors du champ psychanalytique mais plutôt à partir de ce partiel et très rapide survol de préciser l’apport original de la pensée psychanalytique à la question qui nous occupe : la passion de la voix.
Les neurosciences se sont intéressées à l’énigme de l’investissement de la musique et des conditions de sa production allant même jusqu’à utiliser le rapport spécifique du sujet à la voix et à la musique pour en faire un terrain d’observation de la neuroplasticité. Récemment, l’équipe du professeur Micah Murray de Lausanne a, par l’intermédiaire de l’étude du traitement de la voix (De Lucia M., Clarke S., Murray M., 2010) montré que, contrairement à ce que l’on croyait jusqu’à présent, la voix comme signal n’est pas seulement traitée par une zone spécifique du lobe temporal mais que différentes régions du cerveau travaillent ensemble pour identifier tous les sons qui nous parviennent et pour nous permettre ainsi d’adopter les comportements adaptés aux situations, aux demandes et aux dangers qui se présentent. Cette étude remet en cause les modèles basés sur la spécialisation fonctionnelle du cerveau. Cette équipe a de plus démontré que le cerveau ne traite pas les différents bruits à la même vitesse. Ces résultats incitent à penser que le cerveau reconnaît les voix aussi vite que les visages, démontrant ainsi ce que la psychanalyse avait déjà repéré : la voix n’est pas un stimulus comme un autre et son traitement « prioritaire » par le cerveau humain indique qu’elle est le lieu d’un investissement particulier.